L’entreprise, l’immobilier, la finance et le patrimoine
Qu’il s’agisse des murs d’un cabinet libéral professionnel, d’un local artisanal, d’un bâtiment administratif ou industriel, tout entrepreneur se trouve un jour confronté au dilemme de la location ou de l’acquisition de biens immobiliers professionnels, lieu de l’activité opérationnelle de l’entreprise, quels que soient le statut juridique de la société (SARL, EURL, SASU, SAS…). Lorsque cette question se pose, la motivation du dirigeant trouve sa source dans une intention d’ordre patrimonial, dans l’économie à réaliser résultant de ne plus devoir acquitter de loyers à fonds perdus mais passant, au contraire, par le fait de réaliser un investissement d’une part et de préparer la constitution de revenus fonciers d’autre part. Cette réflexion est généralement nourrie lorsque les affaires du cabinet libéral, du commerçant, de l’artisan, de l’industriel, évoluent favorablement et autorisent ainsi son gérant à envisager le caractère pérenne de son modèle d’affaires, de son activité à maintenir in situ et ainsi de son développement futur. Lorsque la décision se trouve ainsi prise d’acquérir les biens immobiliers professionnels, plusieurs alternatives s’offrent alors à l’entrepreneur : acquérir le local sur ses fonds propres (personne physique), sur les fonds de la société (personne morale), ou via une SCI familiale.
Acquisition en direct par l’entreprise : supprimer les loyers tout en maintenant un BRF élevé
Première possibilité, la société peut acheter les biens immobiliers directement. La propriété ainsi conférée à l’entreprise entraîne une augmentation du poste comptable de son actif immobilisé. En cas de recours à un emprunt bancaire, les charges financières supportées par la société se trouvent augmentées de la partie « intérêts » du prêt ainsi remboursé, des charges complémentaires peuvent également naître de la volonté exprimée par le dirigeant de réaliser des travaux d’extension ou d’embellissement du bien dont la société se trouve désormais propriétaire. L’un des inconvénients principaux d’une telle acquisition de biens immobiliers en direct par l’entreprise de ses locaux professionnels réside dans la durée des financements bancaires : en effet, afin de faire face à ses décalages de trésorerie résultant d’un besoin en fonds de roulement (BFR) élevé, la société peut avoir recours à des emprunts d’ordre bancaire de court terme sous la forme de découvert en compte consenti par l’établissement de crédit prêteur, ou à des prêts financiers sous la forme d’une avance en compte courant d’associé. L’acquisition de machines, de moyens de production ou de commercialisation donne généralement lieu à des financements à moyen terme (de l’ordre de 2 à 7 ans). Cependant, la durée d’un financement immobilier concerne généralement une durée plus longue, le long terme (10 / 12 ans par exemple). Dans le cas où l’entreprise acquiert elle-même les murs du local au sein duquel elle exerce son activité commerciale, industrielle ou artisanale, il peut ainsi naître une distorsion des durées de financement pesant sur ses charges financières entre les crédits nécessaires à son activité opérationnelle (à court et moyen terme) et l’emprunt immobilier dont elle bénéficie (à long terme).
Acquisition sur les fonds propres du dirigeant : percevoir un loyer locatif lors du départ à la retraite
Séparer le patrimoine personnel et professionnel…
Une deuxième possibilité peut passer par le fait, pour l’entrepreneur, d’acquérir et de détenir lui-même directement les locaux professionnels : le dirigeant recourt ainsi lui-même au financement bancaire nécessaire sur ses fonds propres. Le bien immobilier acquis à titre personnel fait l’objet d’une location à l’entreprise, les revenus fonciers ainsi générés couvrent tout ou partie des échéances de remboursement de l’emprunt. Généralement, la mensualité d’un emprunt contracté correspond au montant des loyers acquittés. Dans ces conditions, lors de l’évaluation financière de la société opérationnelle, locataire du local professionnel, un retraitement du résultat d’exploitation de celle-ci pourra être réalisé en cas de différentiel entre le loyer mis en place, acquitté et le prix du marché de référence pour un tel local dans le lieu géographique où ce bâtiment professionnel est situé. Dans ce second cas, il y a séparation entre le patrimoine personnel du chef d’entreprise – dans lequel entre un bâtiment professionnel frugifère – et le patrimoine professionnel constitué par l’entreprise opérationnelle dont l’entrepreneur peut être seul titulaire des droits sociaux.
…pour percevoir un revenu foncier
Ces deux composantes du patrimoine du chef d’entreprise (privé du fait de la détention des murs de la société, professionnel du fait de la détention des droits sociaux de la société) peuvent, le cas échéant, faire l’objet d’une cession indépendamment l’une de l’autre. Concrètement, le jour où l’entrepreneur fait valoir ses droits à la retraite, l’entreprise peut faire l’objet d’une cession d’une part, tandis que les murs professionnels peuvent continuer à être loués – cette fois au Cessionnaire de l’entreprise – d’autre part. L’entrepreneur retraité continue de percevoir un revenu foncier issu de la location des biens immobiliers dont il demeure propriétaire à titre personnel.
Créer une SCI familiale pour une meilleure gestion du patrimoine
L’importance d’une comptabilité précise pour les apports en compte courant d’associé
Une troisième possibilité peut passer par la création d’une SCI familiale (société civile immobilière) créée pour la circonstance dont l’entrepreneur et son conjoint ou concubin sont associés, cette SCI se portant acquéreur des biens immobiliers professionnels. Sur le plan fiscal, la société civile immobilière peut être transparente ou assujettie à l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Dans le premier cas, l’entrepreneur procède, chaque année, à une déclaration fiscale au titre des revenus fonciers encaissés. En cas d’assujettissement à l’impôt sur les sociétés (IS), seuls les dividendes perçus par l’entrepreneur font l’objet d’une déclaration auprès de l’administration fiscale. Dans les deux cas, il est vivement recommandé de tenir une comptabilité précise notamment des apports en fonds propres effectués par les associés de la SCI en compte courant d’associé : lorsque les époux sont mariés sous un régime communautaire et sauf à démontrer le contraire, les apports réalisés en compte courant d’associé après le mariage le sont à partir de deniers réputés commun. Néanmoins, il sera conseillé de distinguer deux comptes courants d’associé, le premier étant libellé au nom de l’époux et le second au nom de son conjoint (ou concubin) même si les positions présentées par ces deux comptes courants d’associés d’époux communs en biens et seuls titulaires égalitaires des parts sociales de la société civile immobilière, sont identiques. Pour des époux mariés sous un régime de la séparation des biens, en fonction des apports le cas échéant différents réalisés par les deux titulaires des droits sociaux de la SCI, il est évident que deux comptes courants d’associés doivent apparaître dans la comptabilité de la société civile immobilière ainsi constituée.
Recourir à un professionnel de l’immobilier est inévitable
Sur le plan de l’évaluation financière de la SCI et des parts sociales dont les associés sont titulaires, il importera dans un premier temps de recourir à un professionnel de l’immobilier, à un expert en baux commerciaux, à la Chambre des Notaires, afin de procéder à l’évaluation immobilière du bâtiment professionnel détenu par la société civile immobilière. Dans un second temps, l’évaluation des parts sociales sera réalisée à partir des états financiers de la SCI, le bilan étant utilisé pour l’approche dite patrimoniale, tandis que le compte de résultat permettra la prise en considération d’une méthode de rentabilité. Enfin, une fois les parts sociales des titulaires des droits sociaux ainsi évaluées, la position des comptes courants d’associés ne devra pas être oubliée.